Un processus d’accompagnement suppose la relation entre deux individus, minimum, et, il y a toujours celui qui occupe la place de l’accompagnateur et celui qui occupe la place de l’accompagné.
Pour explorer cette thématique, nous allons nous pencher, dans une première partie, sur 3 conceptions philosophiques qui traitent le sujet, avec :
Descartes,
Husserl
et Merleau-Ponty.
Ces trois conceptions vont nous aider à comprendre les problématiques liées à la notion d’autrui, mais également, dans une deuxième partie, à poser les bases pour comprendre la place d’autrui dans l’accompagnement en général.
Le terme autrui
Le terme « autrui » est issu de l’expression latine alterihuic, qui veut dire « à cet autre ici présent ».
L’usage de ce mot, qui n’est pas tout à fait employé dans la vie courante, est plutôt lié à la philosophie et à d’autres disciplines. Le terme « autrui » ne concerne pas des individus en général, mais un individu, quelqu’un d’identifiable, qui dans le cas de l’accompagnement va assumer un rôle spécifique.
En philosophie, les problématiques liées à autrui, vont toucher plutôt aux thématiques liées à la conscience :
Comment ma conscience individuelle peut-elle « accéder » à une autre conscience qui, par définition, ne lui appartient pas ?
Comment concevoir un autre « je » qui ne fait pas partie de mon « je » à moi ?
Voilà notre problématique philosophique liée à la notion d’autrui.
Ce qu’on apprend de Descartes
Descartes, dans ses Méditations métaphysiques, se posait la question sur l’existence des choses en dehors de la conscience d’un individu. Pour Descartes, une fois que l’existence du « Je » est prouvée, avec la célèbre formulation « Je suis, j’existe », il se pose la question de savoir si nos sens peuvent concevoir les choses extérieures, comme un morceau de cire, ou même les hommes. Dans sa philosophie centrée sur le « Je », la conception des choses dans le monde et d’autrui n’est pas évidente. En voici, un extrait :
« Je voudrais presque conclure, que l’on connaît la cire par la vision des yeux, et non par la seule inspection de l’esprit, si par hasard je ne regardais d’une fenêtre des hommes qui passent dans la rue, à la vue desquels je ne manque pas de dire que je vois des hommes, tout de même que je dis que je vois de la cire ; et cependant que vois-je de cette fenêtre, sinon des chapeaux et des manteaux, qui peuvent couvrir des spectres ou des hommes fictifs qui ne se remuent que pas des ressorts ? Mais je juge que ce sont des vrais hommes, et ainsi je comprends, par la seule puissance de juger qui réside en mon esprit, ce que je croyais voir de mes yeux. »
Ce que Descartes nous dit dans cet extrait, c’est que ce que je vois n’est pas certain, ou du moins, je peux me poser la question si ces corps que je vois par la fenêtre existent réellement. La seule façon d’en être certain, c’est d’utiliser la capacité de jugement de mon esprit, ou de ma conscience. Et, à vrai dire, ce jugement ne peut même pas me donner la certitude qu’il s’agit des hommes comme moi. Cet autre que moi, n’existe pas en tant qu’alter ego, mais seulement dans mon esprit. L’expérience d’autrui est exclusivement intérieure, liée à mon propre ego, donc il n’y a pas une expérience directe ou immanente d’autrui.
Ce qu’on apprend de Husserl
Différemment de Descartes, pour Husserl, ce sont justement les gestes d’autrui, sa présence physique, ses mouvements qui vont donner tous les indices et toutes les preuves qu’autrui existe, comme moi j’existe en tant qu’ego. Cet autre que moi se comporte comme moi, son corps se meut comme le mien, donc de-là nous pouvons concevoir autrui. L’autrui ici est, certes, présenté indirectement à mon ego à travers la ressemblance de son corps avec le mien, mais la différence par rapport à Descartes, c’est que nous avons la certitude de l’existence d’autrui, même si elle n’est pas directe.
Voici un extrait pour comprendre ce que Husserl nous dit :
« Une première direction nous est offerte par le sens du mot autre, autre je ; alter veut dire alter ego, et l’ego qui est ici impliqué, c’est celui que je suis moi-même, constitué à l’intérieur de ma spécificité primordiale, de manière unique comme unité psychophysique (comme être humain primordial), comme je personnel, régnant immédiatement sur mon corps propre unique, agissant immédiatement sur le monde environnant primordial ; en outre, sujet d’une vie intentionnelle concrète, d’une sphère psychique se rapportant à elle-même et au monde (…).
Ce qu’on apprend de Merleau-Ponty
Contre la théorie husserlienne d’autrui, Merleau-Ponty, un autre grand philosophe du XXème siècle, affirme que le monde est indivis entre deux perceptions, il existe au même titre pour deux egos différents et que, je cite,
« tous deux sont, non pas des cogitationes enfermées dans leur immanence, mais des êtres qui sont dépassés par leur monde et qui, en conséquence, peuvent bien être dépassés l’un par l’autre. »1 (…) « L’autre est un collaborateur dans une coexistence réciproque, dans le sens où « ma pensée et la sienne ne font qu’un seul tissu […]. »2
Cette idée de collaboration, de coexistence réciproque nous invite à réfléchir à un espace de partage avec autrui qui s’approche de la relation envisagée dans les processus d’accompagnement en général. Dans cette dynamique, quelle serait-elle la place occupée par celui qui est accompagné ?
Nous allons essayer de répondre à cette question dans la deuxième partie de cet épisode.
Crédits musique :
"Vibing Over Venus" Kevin MacLeod (incompetech.com)
Licensed under Creative Commons: By Attribution 4.0 License
http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/
"Pleasant Porridge" Kevin MacLeod (incompetech.com)
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