La notion de liberté a été explorée par des philosophes et intellectuels tout au long de l'histoire. Dans cet épisode, nous allons explorer ensemble les méandres de la liberté, ses définitions et ses implications philosophiques et existentielles.
Sommes-nous libres ?
Pour répondre à cette question il faut comprendre, d’abord, le concept de liberté. La définition la plus simple du mot liberté a un rapport avec l’absence de contraintes internes ou externes qui nous empêcheraient de faire ce dont nous avons envie. La liberté intellectuelle, la liberté d’aller et venir, la liberté politique, la liberté d’action, etc. La liberté est un état, le fait de se sentir et de se savoir libre. Je fais ce que je veux, et non pas ce qu’un autre décide que je fasse. Je reste l’auteur, la source elle-même de ma liberté et de ma volonté. Nous allons voir, les choses sont plus compliquées que ça.
Le dictionnaire de l’Académie Française nous apprend : le mot « liberté » est emprunté du latin libertas, qui possède le même sens. Il s’agit du « pouvoir d’exercer sa volonté ou d’opérer des choix ».
La liberté chez les stoïciens et la capacité d’agir
Commençons par ce très célèbre extrait du Manuel, d’Épictète :
« Il y a ce qui dépend de nous, il y a ce qui ne dépend pas de nous. Dépendent de nous l’opinion, la tendance, le désir, l’aversion, en un mot toutes nos œuvres propres ; ne dépendent pas de nous le corps, la richesse, les témoignages de considération, les hautes charges, en un mot toutes les choses qui ne sont pas nos œuvres propres. Les choses qui dépendent de nous sont naturellement libres, sans empêchement, sans entrave ; celles qui ne dépendent pas de nous sont fragiles, serves, facilement empêchées, propres à autrui. »1
Pour la philosophie stoïcienne, rationnelle et déterministe, nous sommes libres quand nous comprenons le fonctionnement du monde, c’est-à-dire quand nous comprenons que ce qui doit arriver, arrivera nécessairement, indépendamment de nous. Cependant, nous avons un certain périmètre d’action qui est limité, mais, dans cet espace-là, nous pouvons exercer notre liberté. Être libre, c’est jouir d’une façon intelligente de la vie, avec mesure, et surtout, être libre, c’est se contenter et se limiter par rapport à toute forme d’excès.
Si nous remontons, d’ailleurs dans le temps, l’homme libre est justement celui qui jouit de sa liberté en opposition à l’esclave, privé de sa liberté, et dépendant d’un autre pour agir, son maître. Ce n’est donc pas par hasard que celui qui se dit libre, dit être maître de soi-même.
D’un point de vue sociale et politique, nous disons que nous pouvons faire tout ce qui n’est pas interdit par la loi. L’article XI de la Déclaration des droits de l’homme de 1789, affirme que « La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l’homme (…) ».
Nous pouvons parler de liberté psychologique, de liberté au sens moral, religieux, etc, etc. Le concept est large, complexe et, parfois, peu précis. Je suis libre, même pour définir la liberté. Et dans cette espèce d’exagération de la liberté, être libre pourrait devenir synonyme d’être égoïste.
La philosophie a opposé des visions complètement différentes de grands philosophes tout au long des siècles.
La liberté est une illusion
Pour Spinoza, la liberté n’est rien d’autre qu’une illusion, et nous sommes nécessairement déterminés, telle qu’une pierre poussée dans la nature. Je cite :
« Une pierre par exemple reçoit d’une cause extérieure qui la pousse une certaine quantité de mouvement, par laquelle elle continuera nécessairement de se mouvoir après l’arrêt de l’impulsion externe. (…) Concevez maintenant, si vous voulez bien, que la pierre, tandis qu’elle continue de se mouvoir, sache et pense qu’elle fait tout l’effort possible pour continuer de se mouvoir. Cette pierre (…) croira être libre et ne persévérer dans son mouvement que par la seule raison qu’elle le désire. Telle est cette liberté humaine que tous les hommes se ventent d’avoir et qui consiste en cela seul que les hommes sont conscients de leurs désirs et ignorants des causes qui les déterminent. »2
La liberté est une malédiction
Pour Sartre, nous sommes condamnés à être libres, et cela engage notre responsabilité et nous donne toujours le choix d’agir en conséquence. Regardons cette citation tirée du livre L’Être et le Néant de Sartre :
« L’argument décisif utilisé par le bon sens contre la liberté consiste à nous rappeler notre impuissance. Loin que nous puissions modifier notre situation à notre gré, il semble que nous ne puissions pas nous changer nous-mêmes. Je ne suis « libre » ni d’échapper au sort de ma classe, de ma nation, de ma famille, ni même d’édifier ma puissance ou ma fortune, ni de vaincre mes appétits les plus insignifiants ou mes habitudes. (…) C’est qu’il convient ici de faire des distinctions ; beaucoup de faits énoncés par les déterministes ne sauraient être pris en considération. (…) Tel rocher qui manifeste une résistance profonde si je veux le déplacer sera, au contraire, une aide précieuse si je veux l’escalader pour contempler le paysage. (…) Ainsi, bien que les choses brutes (ce que Heidegger appelle les « existants bruts ») puissent dès l’origine limiter notre liberté d’action, c’est notre liberté elle-même qui doit préalablement constituer le cadre, la technique et les fins par rapport auxquelles elles se manifesteront comme des limites. »3
Ce que Sartre veut dire ici, c’est que nous avons toujours le choix, et la responsabilité du choix, face aux adversités, et c’est cette liberté qui nous angoisse.
Revenons maintenant à notre définition première du mot liberté : la liberté est l’absence de contraintes intérieures ou extérieures. Or, quel homme pourrait agir sans aucune contrainte, qu’elle soit psychologique ou physique, ou encore morale ou sociale ? Quelle chose, au mois dans notre monde, pourrait tomber en chute libre indéfiniment ? Peut-être cela peut choquer les défenseurs d’une liberté totale, mais la vérité est que l’homme n’est jamais complètement libre. Voilà donc la réponse à notre question initiale « sommes-nous libres » ? La réponse est non, du moins pas totalement libres.
Je suis libre… dans un certain contexte
Pour que le concept de liberté soit en cohérence avec nos limitations en tant qu’êtres humains, il faut qu’elle soit nécessairement définie, encadré et limité. La liberté est, dans ce sens, toujours une liberté de… une liberté dont le concept doit être affiné et développé par rapport à quelque chose d’autre. Je suis libre dans un certain contexte, jusqu’à une certaine limite, selon le cadre posé par la situation en question. La liberté la plus libre est une liberté déterminée. Et dans cette définition d’une liberté déterminée, nous avons une marge d’action qui est considérable et en accord avec l’idée d’un libre-arbitre de notre volonté, avec l’idée de pouvoir choisir en toute responsabilité.
Voilà, nous avons parcouru ensemble les perspectives de quelques philosophes, offrant des visions différentes de la liberté.
La question initiale, "Sommes-nous libres ?", trouve une réponse complexe. Nous réalisons que l'homme n'est jamais complètement libre, confronté à des contraintes psychologiques, physiques, morales et sociales. Cependant, de cette reconnaissance de nos limitations, émerge la possibilité d'une liberté définie, encadrée et limitée, offrant une marge d'action considérable en accord avec l'idée de libre-arbitre et de responsabilité.
Merci et à bientôt.
Crédits musique :
"Vibing Over Venus" Kevin MacLeod (incompetech.com)
Licensed under Creative Commons: By Attribution 4.0 License
http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/
"Pleasant Porridge" Kevin MacLeod (incompetech.com)
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